Alors que la crise sanitaire a mis en lumière le rôle-clé de la logistique dans nos approvisionnements, ses acteurs se sont unis dans un dialogue inédit avec l’État. Reconnue comme stratégique pour la relance et pour la souveraineté économique du pays, elle doit aussi relever le défi de la transition environnementale. SYLVAIN CHANOURDIE 

Une quasi-coïncidence de dates marque un tournant pour le secteur français de la logistique. Le 8 janvier 2020 nait l’association France Logistique, regroupant les transporteurs de marchandises et les logisticiens. Pour la première fois, quelque 150 000 entreprises parlent d’une même voix afin de peser auprès des pouvoirs publics. Trois jours plus tard, la Chine annonce le premier décès causé par une maladie, le Covid-19. Ces deux événements n’ont pas un grand retentissement médiatique sur le moment. On connait la suite. Qualifiée de pandémie par L’organisation Mondiale de la Santé le 11 mars, la propagation du virus conduit la France à un confinement général de huit semaines à partir du 17 mars 2020. La logistique n’a pas tardé à faire la une des journaux. 

La familiarisation du grand public aux enjeux de logistique a commencé avec la polémique sur la pénurie de masques. Pointant un manque d’anticipation des autorités, cet épisode très médiatique a souligné au passage l’importance d’une bonne gestion des stocks et de sources d’approvisionnement diversifiées. Puis l’importation en urgence de millions de masques a mis sur le devant de la scène des logisticiens d’envergure mondiale, com missionnaires de transport internationaux, tels que Bolloré Logistics, Ceva Logistics ou Geodis. Les flashs crépitent lorsque débarquent des avions-cargos depuis la Chine. 

La deuxième ligne sort de l’ombre 

Dans les coulisses des ministères, une cellule logistique est activée pour éviter toute défaillance de secteurs vitaux, en particulier la distribution de produits alimentaires. Alors que des pans entiers de l’économie sont mis à l’arrêt, les magasins physiques ou en ligne doivent écouler de quoi préparer 30 millions de repas par jour, auparavant consommés à l’extérieur ! Les décrets et arrêtés sont publiés et tous les acteurs de la filière, industriels, logisticiens, transporteurs, distributeurs, travaillent ensemble pour consolider le système d’acheminement. Moins d’un an après, une nouvelle opération logistique de grande ampleur assurera la distribution des vaccins, pilotée par le ministère de la Santé et sous autres les conseils, entre autres, de deux cabinets spécialistes en organisation de la supply chain, Citwell et JLL. 

Sur le terrain, les travailleurs de la “première ligne”, les métiers de la santé, les pompiers et les militaires sont salués, sans oublier ceux de la ‘deuxième ligne”. Selon la Dares, 4,6 millions de salariés du secteur privé ont continué à travailler sur site durant la crise sanitaire. Parmi ceux-là, des centaines de milliers sont sur les routes, dans les entrepôts, dans les ports : les chauffeurs routiers, livreurs, manutentionnaires assurant l’approvisionnement des commerçants, des hôpitaux, des pharmacies, des entreprises et des particuliers. Ces métiers de la logistique devenus “vitaux pour la nation” sortent alors de l’ombre. 

Un retard de compétitivité à rattraper  

Le chaos du premier semestre 2020 a freiné les projets de France Logistique. Mais l’instauration de cette gouvernance public-privé de la filière marque un tournant après des échecs successifs. Notamment celui de la stratégie France Logistique 2025, initiée en 2016, avec l’ambition de faire de la logistique française une référence dans le concert mondial des échanges et du commerce. La mobilisation des acteurs privés et publics a fini par s’enliser, du fait notamment de clivages entre les organisations professionnelles du secteur. Reconnaissant l’importance stratégique d’une filière pesant 10 % du PIB, le gouvernement d’Edouard Philippe a relancé la démarche. En 2019, il a missionné Eric Hemar et Patrick Daher, respectivement PDG d’ID Logistics et du groupe Daher, pour identifier les voies d’amélioration de la compétitivité française. L’enjeu : faire revenir l’Hexagone dans le Top – 10 mondial des filières logistiques, alors qu’elle occupait en 2018 le 16e rang, selon la Banque mondiale, un classement dominé par l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique. Le rapport remis six mois plus tard préconise la création de France Logistique. Il relève notamment que « l’importance du secteur logistique dans la compétitivité de l’économie française est mal appréhendée. Les enjeux économiques de la filière sont majeurs, mais la logistique reste un secteur mal connu et peu attractif. La prise de conscience récente de l’importance de la logistique est un point positif qu’il faut désormais accentuer. Le cap sera tenu 

LA FILIÈRE TRANSPORT ET LOGISTIQUE EN CHIFFRES

  • 150 000 entreprises.
  • Près de 2 millions d’emplois.
  • 10 % du PIB en 2019.
  • 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019. 

Du déconfinement à la relance verte

La première série de mesures devra attendre décembre 2020, issues du premier comité interministériel de la logistique (Cilog), copiloté par France Logistique et le gouvernement. Sur fond de PIB en chute libre, il n’est plus seulement question de compétitivité et de reconnaissance, mais de souveraineté économique, avec pour priorité le verdissement de l’économie. Le plan d’investissement France Relance de 100 milliards d’euros en 2021 et 2022 consacre ainsi près d’un tiers de l’enveloppe à la réduction des émissions de CO₂ et au développement de technologies vertes. En matière de transport, la reconquête du fret ferroviaire est un « sujet central” de la politique de transition écologique du gouvernement, un grand des routiers. 

Dans le sillage du plan France Relance, le premier Cilog débouche sur 10 mesures, d’un montant de 1,7 milliard d’euros. Avec trois objectifs principaux : “Soutenir la décarbonation du transport de marchandises et accompagner la prie d’activité, renforcer l’attractivité du territoire français pour la construction d’entrepôts logistiques compétitifs et efficaces sur le plan environnemental et rendre plus fluides nos points d’entrée et de sortie du territoire des marchandises.” Puis le Cilog d’octobre 2021 étend les initiatives avec 49 “Territoires de logistique”, comprenant des sites industriels clés en main et des friches réhabilitées. Un rapport destiné à alimenter une stratégie nationale pour une logistique urbaine durable, qui devrait se traduire par de nouvelles initiatives pour résoudre l’équation des livrai sons du dernier kilomètre. Le défi d’une croissance durable se pose désormais à la chaine logistique entière, des grands ports maritimes aux mini-entrepôts urbains : déplacer et stocker des marchandises est une activité consommatrice d’énergie et de surfaces immobilières. Si le défi de la notoriété semble remporté, cela de l’image reste à relever. Souvent ciblés, les entrepôts ont lancé une opération portes ouvertes à travers la France en novembre dernier, organisée par l’Afilog, l’association des professionnels de l’immobilier logistique : Nous en avons assez d’être dans la défensive, explique alors son président, Claude Samson. À travers cette opération de transparence, nous adoptons une communication à la fois offensive et – positive pour dire qui nous sommes et ce que nous faisons. Nous souhaitons mieux faire connaitre au grand public et aux élus territoriaux le rôle-clé que la logistique joue dans l’économie. Nous leur montrons aussi notre capacité à créer des emplois et que nous travaillons sur l’écologie, peut-être plus qu’aucun autre secteur. Le nouveau ton de la logistique est donné.