Rien ne va plus sur les boulevards de la capitale. Face aux plus en plus nombreuses instaurées par la municipalité depuis cinq ans, l’approvisionnement des magasins vire au casse-tête. Et l’explosion des livraisons liées au e – commerce n’arrange rien. « Ça devient tellement complexe à gérer que certains transporteurs envisagent tout simplement d’arrêter de livrer dans la capitale … », prévient Philippe Munier, le délégué régional d’Île-de-France de l’Union des entreprises de transport et logistique de France. Un scénario catastrophe pour l’économie locale et ses 12,5 millions d’habitants. 

L’Île-de-France EN CHIFFRES 

  •  12,5 millions d’habitants.
  • 220 millions de tonnes de marchandises transportées chaque année.
  • 4,4 millions chaque semaine de mouvements de marchandises.

 La maire Anne Hidalgo, réélue en 2020 avec le soutien des écologistes, entend cependant accélérer le calendrier de la zone à faibles émissions (ZFE) métropolitaine. Objectif : interdire d’ici à 2026 les véhicules diesel et limiter les véhicules à essence d’avant 2011 (ne répondant pas à la norme Euro 5) pour favoriser la transition vers des véhicules 100 % électriques ou hybrides, à hydrogène ou au GNV.

Une perspective d’autant plus inquiétante pour les professionnels du transport que le catalogue des constructeurs reste relativement ténu en la matière, avec des modèles qui manquent encore d’autonomie. « Dans la région parisienne, l’élargissement de la ZFE va poser des soucis même aux transporteurs les plus vertueux, car les véhicules électriques actuels ne permettent pas d’envisager des tournées de livraison depuis des entrepôts installés en lointaine périphérie », insiste Philippe Munier.

Neuf marchandises sur dix acheminées par la route

L’enjeu est de taille pour une région qui pèse environ 30 % du PIB national. D’abord parce que 90 % des 220 millions de tonnes de marchandises acheminées chaque année en Ile-de-France transitent par la route, contre 6 % par voie fluviale et 4 % seulement par voie ferrée. Dans l’ensemble, la métropole du Grand Paris accueille 2,8 millions de mouvements hebdomadaires de marchandises (en majorité, des véhicules de moins de 3,5 tonnes), dont 54 % de réceptions seules ; à l’échelle de la région, le chiffre grimpe à 4,4 millions.

Ensuite, la logistique en Île-de-France constitue en soi une activité économique cruciale et en pleine croissance : elle représente 10 % du PIB régional et rassemble plus de 375 000 salariés, soit près de 8 % de l’emploi local, avec des embauches qui progressent de 7 % par an dans la branche selon l’enquête annuelle 2019 de l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique.

Dans ce contexte, la concertation entre collectivités publiques et professionnels va bon train pour développer des solutions innovantes de logistique. Il faut mettre l’imagination au pouvoir », avait prévenu, en 2019, la présidente du conseil régional d’Ile-de-France, Valérie Pécresse, au lancement d’un plan stratégique visant à « réintroduire le foncier logistique en centre-ville, [ … ] favoriser le mode fluvial et soutenir la modernisation des flottes de véhicules vers des propulsions propres ».

Bref, développer la logistique urbaine en installant de petits entrepôts en centre-ville et favoriser les derniers kilomètres en mode doux plutôt que de livrer en camions encombrants et polluants depuis des plateformes implantées en lointaine périphérie.

Développement des centres logistiques urbains

Depuis, les collectivités mettent les bouchées doubles, et les initiatives n’ont pas manqué. En plus de la logistique fluviale (lire encadré), la grande majorité des projets porte sur la création de centres de logis tique urbaine. L’hôtel logistique multimodal de Chapelle International, construit sur une emprise ferroviaire dans le XVIIIe arrondisse ment, a ouvert la voie en 2018.

Malgré un manque chronique de foncier et des tarifs qui dépassent les 10 000 euros le mètre carré, la réussite d’entrepôts comme Air2 Logistique, à Gennevilliers, ou l’espace logistique de Beaugrenelle confirme que le changement est en marche. Les petites aires de stockage urbain se multiplient sur Paris grâce à la bienveillance des collectivités.

Les parkings des bus de la RATP, les bâtiments temporairement vacants, des stations-service délaissées se transforment ainsi en entrepôts. « Autant la métropole parisienne est en retard au niveau de l’uniformisation de sa ZFE, autant elle est en avance au niveau de la logisique urbaine », reconnaît d’ailleurs Laetitia Dablanc, directrice de la chaire Logistics City de l’Université Gustave-Eiffel.

LA LOGISTIQUE FRANCILIENNE EN CHIFFRES 

  • 90 % marchandises transportées par la route.
  • 20 % du trafic urbain est généré par la logistique.
  • 30 % de la pollution est induite par les livraisons. 

 L’analyse de données des flux logistiques et l’intelligence artificielle pour mutualiser les moyens et mieux organiser les livraisons complète la panoplie. Sans oublier l’acheminement final confié à des vélo-cargos dont la charge peut dépasser aujourd’hui les 1500 litres.

Reste que, malgré la volonté politique, les changements s’opèrent à petits pas en raison de la réalité des pratiques. « Le transport fluvial et les vélos-cargos ne suffiront pas à alimenter la capitale. Et le véhicule électrique est encore loin d’être une alternative économiquement viable », prévient Antoine Cardon, délégué général du Syndicat national des transports légers.