La transition énergétique du transport de marchandises nécessite l’abandon du gazole dans le routier. Passer au tout-électrique d’ici à vingt ans est crédible sur le plan technologique, via l’hydrogène notamment, mais très incertain économiquement. LUC BATTAIS

La loi climat et résilience, adoptée en juillet dernier, a marqué une étape importante de la décarbonation du transport de marchandises en France. Le texte met fin, en effet, à « la vente des véhicules lourds neufs affectés au transport de personnes ou de marchandises et utilisant majoritairement des énergies fossiles d’ici à 2040 ».

La mesure ne concerne que le transport routier, mais c’est le mode terrestre le plus émetteur de gaz à effet de serre et notamment de CO2, loin devant le train ou le transport fluvial : les poids lourds et véhicules utilitaires légers représentent, 88,4 % du transport terrestre de marchandises hors oléoducs.

Cela n’empêche ni le transport maritime ni l’aérien d’être, eux aussi, en passe de réduire leurs émissions de dioxyde de carbone sous contrainte réglementaire. Quant au fret ferroviaire, s’il devait réussir son plan de sauvetage visant à doubler sa part modale d’ici à 2030 (9,7 % en 2020), le report de la route vers le rail ne permettrait de décarboner que 18, 6 % du transport routier. 

Compte tenu des choix technologiques des constructeurs de camions, la transition énergétique va donc consister dans les vingt prochaines années à remplacer le gazole et le gaz par de l’électricité dite « verte ». 

Le défi des longues distances 

En France, on peut d’ores et déjà considérer que l’étape de l’électrification est en bonne voie pour les utilitaires légers jusqu’à 3,5 tonnes et pour les petits camions de livrai son jusqu’à 5 tonnes dont l’activité s’exerce en zone urbaine et périurbaine pour des tournées de livraison compatibles avec l’autonomie actuelle des batteries. La plupart des grands réseaux de livraison de colis annoncent aujourd’hui livrer à 100 % les centres-villes, y compris ceux des grandes métropoles, avec des véhicules électriques. 

Le problème est loin d’être résolu en revanche pour les utilitaires circulant sur des tournées longues et pour les véhicules de plus de 5 tonnes jusqu’aux ensembles de 40 tonnes circulant en longue ou en moyenne distance. Ces derniers consomment 61,5 % de l’énergie consacrée au transport de marchandises.

Une récente étude de l’Observatoire du véhicule industriel montre qu’aujourd’hui l’électrique y est confidentiel et l’hydrogène inexistant, tandis que 96,5 % des poids lourds de plus de 5 tonnes neufs immatriculés en 2020 avaient des moteurs Diesel. Ils consomment certes moins que jamais grâce aux efforts des constructeurs, mais ce sont toujours de gros émetteurs de CO₂. 

À date, le bilan de la décarbonation du transport routier n’est donc pas très encourageant. Le seul carburant “alternatif” en croissance aujourd’hui dans la motorisation des poids lourds neufs est le gaz naturel pour véhicules (GNV), qui ne réduit les émissions de CO₂ que de 15 % par rapport au diesel et de 80 % dans sa version bio-GNV. 

C’est un premier pas encourageant. Car l’utilisation du GNV dans les poids lourds est d’application immédiate. Elle ne nécessite pas de rupture technologique, mais une simple adaptation du système d’injection des moteurs Diesel, et, surtout, une filière de distribution du carburant commence à se mettre en place en adéquation avec les besoins du transport routier en France et en Europe. 

Reste qu’après plusieurs années de progression significative, le GNV ne représente aujourd’hui que 2,9 % des immatriculations des véhicules de plus de 3,5 tonnes en France avec 6 841 véhicules immatriculés, en hausse de 5,5 % en 2019 (avant les -18 % du marché global en 2020). 

Les poids lourds électriques en longue distance, qui constitueraient une avancée significative dans la transition énergétique en supprimant totalement le moteur Diesel, n’ont pas connu le même succès. L’offre est à peine naissante et à des prix hors de portée des entreprises de transport malgré de substantielles aides gouvernementales. 

Ces véhicules animés par un moteur électrique fonctionnent sur batteries dont l’autonomie et le temps de recharge sont encore peu compatibles avec la plupart des activités de transport de longue distance. Les constructeurs expliquent que l’amélioration des caractéristiques de ces chaînes cinématiques font l’objet de recherches constantes, d’autant plus poussées que ce type d’électrification est un jalon sur la route de l’utilisation de l’hydrogène. 

L’hydrogène, énergie de rupture 

En effet, la prochaine étape de l’électrification des poids lourds consistera à les équiper de moteurs électriques et d’une pile à combustible. Celle-ci, installée à la place de l’actuel diesel, prolongera l’autonomie des batteries. Elle fonctionnera à l’hydrogène « vert », c’est-à dire produit à partir d’énergies renouvelables et du procédé de l’électrolyse de l’eau.

La plupart des constructeurs européens, qui se préparent avec leurs équipementiers à ce nouveau marché, affirment pouvoir tenir l’échéance de 2040 pour la fourniture de poids lourds électriques à pile à combustible. Mais ils ne disent pas encore à quel prix. Pour l’instant, ces constructeurs, à l’instar de la coentreprise Cellcentric de Volvo et Daimler (Mercedes) ou de l’accord entre Iveco et Air liquide, commencent à peine à investir dans des structures de production et de recyclage de batteries et de piles à combustible en collaboration avec des producteurs d’hydrogène. 

Des investissements colossaux sont engagés dans le monde entier pour produire de l’hydrogène vert, d’abord pour l’industrie, ensuite pour les transports. Air liquide a ainsi inauguré en février 2021 au Québec la plus grande unité de production au monde de 20 mégawatts, capable d’alimenter 2000 voitures ou 230 camions par jour. Et une nouvelle unité de production de 30 mégawatts en Allemagne devrait être opérationnelle début 2023.

La transition énergétique du transport routier de marchandises semble bel et bien engagée avec, au moins du côté des constructeurs de véhicules, la perspective de respecter l’échéance de 2040. Mais personne ne sait encore si, le moment venu, l’économie du secteur pourra supporter le coût de la transformation du parc et le prix de la nouvelle énergie. 

UN PARC DE POIDS LOURDS MASSIVEMENT CARBONE 

  • Parc total de véhicules de plus de 3,5 tonnes 600 283 véhicules dont : Crit’Air 3 à 5, 289 288 véhicules soit 38 %
  • GNV : 6 603 soit 1,10 %
  • Camion électrique : 139