L’e-commerce attire les transporteurs au cœur des villes, tout près des clients, avec des véhicules moins polluants et de nouvelles plateformes. Ce qui intensifie la chasse au foncier. LUC BATTAIS

Si les dark stores font parler d’eux, c’est qu’ils inquiètent les élus locaux, soucieux de préserver les locaux commerciaux au cœur des villes. Ces petits entrepôts ressemblent à des supermarchés où les marchandises sont installées sur des étagères et dans des armoires réfrigérées. Mais aucun consommateur ne vient y prélever lui-même les produits. Seuls quelques opérateurs sont là pour le faire, en préparation des commandes reçues sur un site Internet.

Une fois complètes, ces commandes sont remises à des être livrées en dix à quinze minutes dans une zone très rapprochée. Seulement un petit nombre de références sont disponibles à la livraison en un temps aussi bref.  

Définis en termes logistiques, ces dark stores sont des points de picking (en français, préparation de commandes) au plus près des clients, de façon à garantir des délais de livraison à domicile extrêmement courts, non plus sur les derniers kilomètres, mais sur les derniers mètres. 

Rien de neuf sous le soleil. Ces nouveaux acteurs de la distribution urbaine alimentaire appliquent une stratégie de rapprochement du consommateur suivie depuis une quinzaine d’années par les grands réseaux de livraison de colis et les enseignes de la grande distribution.

Les dark stores prolongent le plus loin possible au cœur des villes des chaines logistiques dont l’origine en est parfois très éloignée. 

Les entrepôts se rapprochent des villes

Car, directement ou non, ces petits entrepôts avancés sont approvisionnés depuis les grands entrepôts des fournisseurs (industriels de l’agroalimentaire, grossistes), plus vastes, à l’extérieur de la ville. Leur nombre a augmenté et leur localisation est toujours plus proche de celle-ci.

Entre 1990 et 2015, dans le Bassin parisien, la distance moyenne au barycentre de la zone de distribution des entrepôts (méthode scientifique calculant leur localisation idéale) s’est réduite de 45 kilomètres. Le mouvement se poursuit, en particulier avec les entrepôts destinés au commerce électronique, dans des zones logistiques situées autour de l’agglomération parisienne. Une automatisation poussée permet d’y réduire le temps de préparation des commandes. 

Le respect de délais courts impose aussi aux transporteurs (postiers, réseaux de messagerie ou d’express, transporteurs spécialisés dans la livraison urbaine) de prolonger leurs réseaux au cœur des villes, de hubs de plus en plus grands situés en limite des zones urbaines. Cette nouvelle tension des flux s’appuie sur de petits véhicules de livraison propres », à faibles émissions de CO2, (camionnettes électriques), sur des vélos, sur des livreurs à pied et bientôt peut-être sur des robots. On le voit, en bout de chaine, les dark stores ne font pas autre chose. 

Du point de vue logistique, la progression du volume de colis à livrer pour le commerce électronique, l’appétence des internautes pour la livraison à domicile, ont eu d’importantes conséquences pour les villes et les agglomérations. D’abord une augmentation du trafic des véhicules de livraison qui est liée aux flux « retours » spécifiques au commerce en ligne. Les colis B to C, destinés aux particuliers, longtemps livrés presque exclusivement par La Poste ont progressivement envahi les réseaux de transport B to B, professionnels, qui ont pris une nouvelle part dans la livraison aux particuliers. Le nombre de livreurs a ainsi fortement augmenté. 

Chasse au foncier et baisses d’émissions de CO₂ 

Mais surtout, la tension des flux de livraison urbaine a engendré une incroyable “chasse au foncier”. Dans les grandes villes, les transporteurs, y compris La Poste et ses filiales, comme les enseignes de la distribution, traquent le moindre parking ou atelier désaffecté, le plus petit garage pouvant être transformé en espace logistique urbain. Les locaux commerciaux vacants deviennent des points de livraison et de retrait de colis.

Au passage, cette augmentation du nombre des livraisons urbaines doit s’opérer, au moins pour le transport, dans des conditions de baisse des émissions de CO₂. Les transporteurs ont anticipé.

Depuis des décennies en effet, leurs représentants discutent, voire négocient, avec les villes ou les communautés de communes qui réglementent et parfois restreignent les conditions d’accès des marchandises à leur espace public (horaires de livraison, gabarit des véhicules, critères d’émissions de CO₂, aires de livraisons…). Pour elles, le défi est de coordonner une logistique urbaine plus globale partageant la voirie de façon optimale, entre tous transports collectifs, véhicules particuliers, services municipaux et d’urgence, transport de marchandises volumineuses, approvisionnement de chantiers, déménageurs, artisans… 

Mais cette logistique-là, aussi, est soumise à des contraintes légales renforcées, à l’exemple de la récente loi Climat et Résilience qui étend l’instauration d’une « zone à faibles émissions mobilité » avant le 31 décembre 2024 dans toutes les agglomérations métropolitaines de plus de 150 000 habitants. Cela conduit à des accords avec des acteurs logistiques d’un nouveau genre, comme Urby. Cette filiale du groupe La Poste centralise les envois B to B vers les centres-villes sur des plateformes en dehors des zones urbaines pour les regrouper dans un seul plan de transport respectant les réglementations de la ville pour livrer les commerçants, les artisans ou les chantiers. À l’inverse des colis de l’e-commerce, les livraisons de plusieurs transporteurs sont ainsi mutualisées, réduisant le nombre de ces derniers. 

La logistique urbaine plus durable pourra aussi s’appuyer sur une meilleure concertation public-privé. Une quarantaine de communautés d’agglomération mettent en place une charte d’engagements volontaires visant à améliorer les conditions du transport des marchandises en ville.