Accélérées par la crise de la Covid-19, les ventes en ligne génèrent plus de 1 milliard de colis par an. Les logisticiens déploient des entrepôts XXL automatisés pour les traiter plus vite tout en multipliant les canaux de livraison. Une activité intense qui soulève des questions environnementales. SYLVAIN CHANOURDIE

Tout, n’importe où et à tout moment. Le client-roi a désormais trouvé satisfaction grâce à l’e-commerce. La logistique est son meilleur serviteur. Un serviteur qui passe souvent inaperçu jusqu’au moment de réceptionner sa commande… et parfois de la renvoyer. À domicile, dans des points relais, dans des consignes automatiques, en boutique avec le click and collect popularisé par les confinements, en drive… la multiplication des points de retrait témoigne des efforts considérables que déploient les transporteurs et logisticiens pour satisfaire les cyber-acheteurs. De fait, la livraison est devenue un critère d’achat majeur sur Internet. 

Maître incontesté de l’e-commerce (en France, un cyber-acheteur sur deux en est client), Amazon l’a bien compris. Le géant américain qui a fondé son modèle sur la satisfaction client est aussi un grand logisticien. Aux États-Unis, 80 % de ses clients ayant répondu à l’enquête Statista le choisissent pour ses livraisons “rapides et gratuites” et 70 % pour le choix. Le groupe a investi massive ment pour accélérer la rapidité de ses livraisons et enrichir son catalogue de produits. Il a démocratisé dans de nombreux pays la livraison J+1, voir jour J et même en H+2 pour ses abonnés au service Prime dans les grandes villes.

Tenir de tels délais tout en proposant des milliers, voire des centaines de millions, de références est une révolution logistique que cherchent à reproduire d’autres leaders de l’e-commerce, les Alibaba, Cdiscount, Zalando, ou encore les grandes enseignes de la distribution.

Car, dans l’e-commerce traditionnel, il faut plutôt compter sur une livraison en deux à quatre jours : l’entrepôt reçoit la commande le jour même ou le lendemain, il la prépare en un ou deux jours avant de la confier à un transporteur qui livrera le produit en un ou deux jours. 

Usines à colis automatisées 

 Quelle est la pièce maitresse pour réduire les délais et proposer un vaste catalogue ? L’entrepôt, Amazon réduit ses délais en maillant le territoire d’un réseau à plusieurs échelons, de l’agence de livraison urbaine jusqu’à l’entrepôt transnational proche des grands axes, le tout vu comme un stock unique par l’informatique.

Jérôme Fourquet et Jean – Laurent Cassely, dans leur livre La France sous nos yeux, décrivent ainsi une “France Amazon dans laquelle le secteur de la logistique marque [ … ] de manière de plus en plus prégnante de son empreinte les paysages”. À l’intérieur de ces usines à colis, la préparation de commandes, étape chronophage qui demande beaucoup de main-d’oeuvre, y est automatisée et robotisée. Selon les experts, cela peut permettre de diviser par trois le coût de la logistique des articles par rapport à des processus manuels tout en gagnant en fiabilité. S’ajoute la capacité à traiter des flux plus importants dans des volumes et surfaces moindres.

Amazon s’appuie en plus sur des logiciels très sophistiqués pour optimiser sa supply chain, capables d’anticiper la prise de commande avant même de valider son achat.

Les grandes enseignes du retail adaptent, elles aussi, leurs modèles de vente en ligne et de distribution aux nouvelles habitudes de consommation. Outre une refonte de leurs entrepôts pour traiter les flux d’e-commerce, elles transforment leurs magasins en lieux de stockage décentralisés. Leur réseau de boutiques assure plusieurs étapes de parcours d’achat omnicanaux : réception des colis en click and collect, expédition en ship from store, remise à des transporteurs ou à des clients, etc. 

 BOOM DE L’E-COMMERCE 

 L’achat en ligne et le nombre de colis ont bondi avec la crise de la Covid-19. 

D’après Kantar, le premier confinement de mars à mai 2020 a poussé plus de 2,4 millions de nouveaux consommateurs vers les boutiques en ligne. Résultat, selon la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance, les ventes sur Internet ont bondi de 42 % entre 2019 et 2021. passant de 46,5 à 66,7 milliards d’euros !

Ce boom de l’e-commerce se traduit par une explosion du volume de colis à préparer dans les entrepôts, à acheminer (par la route essentiellement) et à livrer. Le cap du milliard de colis du commerce en ligne distribués à domicile et hors domicile a été franchi en 2020. Colissimo, filiale de La Poste, en a distribué 505 millions en 2021, après une progression record de 29 % l’année précédente. 

L’E – COMMERCE EN FRANCE

  • Plus de 1 milliard de colis distribués en 2020.
  • 13 % du commerce de détail, contre 10 % en 2019.
  • 137 000 tonnes d’emballages jetés en 2018.
  • Prise de conscience écologique

La multiplication des entrepôts et des flux de colis ne va pas sans soulever des questions environnementales, en plus d’opposer commerce en ligne et commerce traditionnel. Publiée peu avant le vote de la loi commandée par le gouvernement à Climat et Résilience, une étude France Stratégie estime que la principale différence entre le bilan environnemental complet d’un produit vendu en magasin et celui de son jumeau vendu en ligne « repose sur les étapes finales d’entreposage et de distribution au consommateur ».

La livraison du dernier kilomètre doit à ce titre privilégier les flottes décarbonées et optimiser les flux, y recommande-t-on. La meilleure prise en compte de la logistique dans l’aménagement territorial est un autre enjeu-clé. Les auteurs sont mitigés sur l’impact des entrepôts : « L’augmentation [de leur nombre] liée au commerce en ligne contribuerait à moins de 1 % de la consommation annuelle d’espaces naturels, agricoles et forestiers, mais peut avoir un impact local significatif, notamment lorsque des entrepôts de très grande taille sont construits.» 

Autre levier vert, de nombreux e-commerçants promeuvent une meilleure gestion des emballages de transport et la réduction des déchets. Selon un rapport de l’Ademe paru en 2021, 137 000 tonnes d’emballages ont fini à la poubelle en 2018. Et 75 % des Français jugent utile, voire indispensable, d’être livrés de façon écoresponsable, chiffre qui atteint 82 % chez les moins de 25 ans, d’après une étude Citeo de 2021. La signature en juillet dernier de la charte d’engagements pour la réduction de l’impact environnemental du commerce en ligne marque une nouvelle ère.

Lancé par France Logistique, France Stratégie et la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance, ce texte écoresponsable a été ratifié par Cdiscount, eBay, Fnac-Darty, La Redoute, Maisons du Monde, Millet Mountain Group (Lafuma), Sensee, Otelo, Rakuten, Rosa, Sarenza, Showroomprivé, SOS Accessoire et Veepee. Mais pas par Amazon. La charte prévoit entre autres une réduction du volume des emballages de livraison d’au moins 75 % des produits ou colis d’ici fin 2024. Les e-commerçants s’engagent aussi à renforcer l’utilisation d’emballages de livraison en matières principales recyclées, recyclables ou réutilisables et issus d’approvisionnements certifiés.