Longtemps rêvée, théorisée depuis quinze ans, l’extension de la capitale jusqu’à la mer s’esquisse avec la fusion des ports du Havre, de Rouen et de Paris. De cette connexion renforcée naît l’opportunité d’une logistique multimodale plus verte entre l’Ile- de – France et la Normandie. THIERRY BUTZBACH

Paris, Rouen, Le Havre, une seule et même ville dont la Seine est la grand – rue », disait déjà Bonaparte. L’idée s’est imposée deux siècles plus tard, au milieu des années 2000, à la faveur de l’élaboration du Grand Paris. L’urbaniste Antoine Grumbach a répété que toutes les grandes métropoles sont portuaires et le président Nicolas Sarkozy s’est rallié à son opinion, déclarant en 2009 que “Le Havre est le port du Grand Paris et la Seine son axe nourricier autour duquel la métropole a vocation à s’ordonner”. Le concept de la vallée de la Seine, englobant à la fois l’Ile-de-France et la Normandie, était né. Et avec lui la vocation d’une mise en réseau des agglomérations.

Première pierre de cette construction, la fusion des ports du Havre, de Rouen et de Paris, devenus Haropa Port à l’été 2021, a permis de partir à la reconquête du marché pour renforcer la place du nouvel établissement sur l’échiquier international, même s’il pèse toujours quatre fois moins qu’Anvers ou Rotterdam.

Le succès semble au rendez-vous puisque le port a enregistré une belle croissance l’an passé (+ 12 % du trafic et + 28 % de conteneurs). “Les bons résultats valident la pertinence du nouveau modèle, qui rime avec efficacité et performance”, fait valoir Daniel Havis, le président du conseil de surveillance de Haropa Port.

Ce n’est qu’un début : conséquence directe de cette fusion, les trois ports ont défini, début 2022, une stratégie tarifaire commune et une harmonisation des pratiques pour gagner des parts de marché. D’autant que sur la période 2020-2027, l’État a doté le nouvel établissement d’une enveloppe d’investissement de 1,45 milliard d’euros pour financer les nombreux projets d’aménagements d’infrastructures portuaires.

Première “région” de France

L’accroissement de l’attractivité de la porte d’entrée maritime du Grand Paris s’accompagne d’un vaste mouvement de coopération du côté des collectivités, des agglomérations et des filières économiques visant à soutenir le développement de la vallée de la Seine.

En témoignent, ces dix dernières années, la nomination d’un préfet délégué interministériel dédié à son développement, la signature d’un contrat de plan État-région (une première nationale) entre les trois régions d’alors (deux aujourd’hui après la fusion des deux Normandie), complété par un schéma stratégique d’aménagement de la vallée de la Seine à l’horizon 2030.

Entre autres objectifs, il s’agit de réunir les régions Normandie et Ile-de-France autour de plusieurs défis, à commencer par le renforcement des réseaux portuaire, maritime et fluvial et la structuration d’un système logistique multimodal.

Avec ses quelque 15 millions d’habitants, la vallée de la Seine est la première “région” de France, tout à la fois le premier territoire industriel (plus de 700 000 emplois, essentiellement dans la pétrochimie et l’automobile) et la première terre logistique (490 000 emplois), appuyée à ses extrémités par Haropa Port et l’aéroport de Roissy.

La dynamique impulsée depuis quelques années pour développer la filière logistique dans la vallée de la Seine porte essentiellement sur le renforcement du maillage et de l’accessibilité aux services logistiques des entreprises en Normandie et sur tout l’ouest parisien. Ce qui devrait rééquilibrer l’activité à l’échelle de la capitale, marquée par la prédominance des échanges historiques sur l’axe nord-sud.

En effet, les 25 millions de conteneurs qui arrivent chaque année des ports du nord de l’Europe (contre 3 millions de conteneurs depuis Le Havre) ont surtout densifié la logistique sur un croissant allant du nord-est au sud est de l’Ile-de-France. Une majeure partie des entrepôts, représentant entre 17 et 20 millions de mètres carrés, y sont implantés.

Faire décoller le transport fluvial

Compte tenu de l’importance des flux au niveau de l’Ile-de-France, le raccordement à sa porte maritime naturelle s’accompagne du développement de la logistique fluviale et ferroviaire. À l’échelle de la vallée de la Seine, 85 % des biens et marchandises sont toujours transportés par camion, ce qui engendre pollution et congestion du trafic routier. La plupart des efforts portent donc sur le transfert modal de la route vers le rail et surtout vers le transport fluvial. Ce dernier ne représente que 10 % des pré- et post-acheminements d’Haropa Port, contre 50 % à Anvers ou Rotterdam.

L’objectif est de fluidifier la chaîne, notamment grâce à l’accès direct des barges aux quais maritimes pour faciliter les transbordements. Une nouvelle ligne de fret a aussi été mise en service en mars 2021 pour renforcer les capacités ferroviaires entre la Normandie et l’Ile-de-France et potentiellement retirer jusqu’à 6 000 camions par semaine sur l’axe Seine.

En attendant que la livraison de marchandises à Paris s’appuie davantage sur le fluvial, l’utilisation de ce dernier pour le transport des déblais s’accentue. Avec les chantiers du Grand Paris et des jeux Olympiques, débutés dès 2016, ce sont 45 millions de tonnes de terre qui auront été extraites au total. « L’objectif est d’évacuer plus d’un quart de ces déblais par la Seine », affirme Frédéric Willemin directeur du développement durable de la Société du Grand Paris.

PLUS DE 400 000 M² D’ENTREPÔTS

EN 2021 Outre des activités industrielles, plusieurs projets et implantations logistiques ont été lancés en 2021 dans les zones portuaires détenues par Haropa Port. L’établissement portuaire fait du foncier un des piliers de sa stratégie de développement en vue d’augmenter son influence dans le système de distribution de l’Ile-de-France.

LA VALLÉE DE LA SEINE EN CHIFFRES

  • 15 millions d’habitants, dont 12 millions en Ile-de-France.
  • 11 % de l’emploi local. 25 % de la filière nationale.
  • 1400 hectares de foncier disponible dont 1/3 sur les domaines portuaires.
  • 2.8 millions de mouvements hebdomadaires de marchandises.
  • 22,5 millions de tonnes de trafic fluvial. + 4 % par rapport à 2020.
  • 45 000 entreprises toutes tailles et tous secteurs.

Au-delà des matériaux de construction et du vrac, le transport fluvial commence à séduire les entreprises, à la recherche d’alternative pour atteindre des centres-villes soumis à des zones à faibles émissions qui interdisent la circulation des véhicules les plus polluants. À

port de Limay-Porcheville, dans les Yvelines, Ikea doit ainsi ouvrir en 2026 un entrepôt de 72 000 m² qui approvisionnera par la Seine le centre de Paris. D’autres suivront, car la circulation sur le fleuve est loin d’être saturée. En 2021, 22,5 millions de tonnes de marchandises ont voyagé sur la Seine. Selon Voies navigables de France, ce trafic pourrait être quatre fois supérieur.

Les élus d’Ile-de-France se sont emparés de la question de la logistique urbaine. La métropole comme la région ont adopté des directives en faveur du développement du transport fluvial et la libération du foncier pour multiplier les centres de distribution urbains. Le début d’une nouvelle ère.