Baisse des impôts de production, facilités d’implantation territoriale… rien n’est jamais assez pour aider l’entreprise à ouvrir ses entrepôts sur notre territoire et embaucher des salariés non qualifiés. Mais la doctrine Macron pourrait changer. THIEBAULT DROMARD

C’était trois projets emblématiques pour Amazon en France. Trois projets que le géant américain a dû abandonner ces derniers mois face au niveau de la contestation. À Montbert, en Loire-Atlantique, le logisticien avait prévu d’installer un des plus grands entrepôts de France : ce centre de distribution de 185 000 m₂ devait occuper 14,5 hectares de terres cultivables, soit l’équivalent de 25 terrains de foot. C’est sans doute ce gigantisme qui a tué le projet.

De nombreuses associations de riverains ou d’écologistes ont bataillé ferme depuis l’automne 2020 pour obtenir l’abandon officiel du projet en octobre dernier. Même cause, même combat à Ensisheim, en Alsace, où Amazon a renoncé à l’installation d’un entrepôt de près de 190 000 m₂, et à Fournès, dans le Gard  où le projet, plus modeste, de centre de tri de 40000 m₂ a été abandonné.

Les tribunaux administratifs assiégés 

Faut-il en conclure qu’Amazon ne parviendrait plus à s’implanter en France ? « Le rythme de développement est à peu près le même, mais l’entreprise doit faire face à des tirs de barrage de plus en plus organisés, et les gros chantiers mettent beaucoup plus de temps à se concrétiser », souligne Alma Dufour, de l’association Les Amis de la Terre, fervente opposante au géant américain.

En revanche, Amazon parvient à conserver son rythme de développement sur les petits projets et notamment les agences de livraison dite du “dernier kilomètre” qui ne portent que sur 10000 m₂ au maximum.

En 2021, cinq d’entre elles ont été ou vertes ainsi qu’un grand entrepôt à Metz. C’est le rythme que s’est fixé Amazon France : inaugurer un grand site et environ cinq à dix agences par an. Depuis 2017, l’américain a créé 27 agences. C’est incontestablement sur les grands

projets que les choses sont définitivement plus compliquées. « Vu la complexité de ces derniers, nous prospectons toujours plusieurs lieux à la fois », précise Frédéric Duval, patron d’Amazon France. Les recours au tribunal administratif se multiplient, comme à Petit Couronne, en Normandie, dans le territoire de Belfort ou à Colombier-Saugnieu, près de Lyon.

Des contentieux qui font perdre un temps précieux à Amazon alors que la France n’est pas particulièrement en avance, avec une part de marché de seulement 20 %, bien inférieure à celle d’Amazon en Allemagne ou au Royaume-Uni, qui compte près de deux fois plus d’entrepôts.

Pour contourner ces oppositions, la méthode de la multinationale est éprouvée. Elle avance d’abord masquée, confiant les négociations et la construction à un promoteur. Afin de convaincre maires et préfets, Amazon déploie de solides arguments. Loin des polémiques nationales sur l’emploi et les impôts, dans ces petites communes subissant souvent un fort taux de chômage, il promet des centaines de CDI et de coquettes recettes fiscales. 

Difficile de refuser quand l’édile local doit affronter ici les fermetures des usines Whirlpool et Goodyear à Amiens, là les licenciements dans celle d’Alstom à Belfort ou de Vitembal, près de Fournès, ou le retrait des garnisons militaires à Metz. « Je me dois d’accepter leurs emplois, sinon ils les proposeront à d’autres », assume Pascale Loiseleur, maire de Senlis, dans l’Oise, où l’américain a ouvert un entrepôt en 2020. « Amazon n’hésite pas à embaucher des chômeurs de plus de 50 ans, sans qualification », salue Alain Gest, président de la métropole d’Amiens qui englobe Boves, où l’entreprise s’est implantée en 2017. 

 Les largesses de l’État français

Car malgré ses difficultés d’implantation, Amazon a tout de même réussi à obtenir les bonnes grâces de l’exécutif français. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie de François Hollande, avait précisément établi comme stratégie d’attirer dans le pays les plateformes logistiques, vues comme un moyen de panser la désindustrialisation.

Quelles autres entreprises aujourd’hui seraient capables de s’installer au milieu de nulle part et d’y créer des centaines d’emplois non qualifiés ? Ainsi la proposition de Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, d’un moratoire sur l’implantation de nouveaux entrepôts (dans la lignée de celui sur les zones commerciales obtenues par la Convention citoyenne pour le climat) a-t-elle été vite balayée.

Mieux, la loi Climat et Résilience, votée l’an dernier, a indirectement favorisé Amazon puisque, au nom de la lutte contre l’artificialisation des sols, elle interdit toute nouvelle construction de surface commerciale supérieure à 10000 m². Les grandes surfaces voient ainsi leur développement contraint au profit… de l’e-commerce et de son leader mondial, dont les entrepôts ne sont pas considérées comme des surfaces commerciales ! Les largesses ne s’arrêtent pas là : Amazon, classée comme entreprise industrielle, bénéficie aussi en France de la baisse des impôts de production. 

Le soutien sans faille du gouvernement Macron à l’égard de la multinationale interroge alors qu’elle est régulièrement pointée du doigt pour sa responsabilité dans la destruction d’emplois de proximité. Pour y voir clair, le gouvernement avait d’ailleurs pris soin de com mander un rapport au très sérieux groupe d’études France Stratégie, rattaché au Premier ministre et à l’Inspection générale des finances, Pas moins de sept ministres en sont à l’initiative.

Après cinq mois de travail, les conclusions de l’étude sont sans appel : Plus le commerce en ligne est fort dans un secteur, plus la baisse de l’emploi est marquée. Une théorie partagée par deux études américaines : celle d’UBS, qui table sur la fermeture de 75 000 magasins d’ici à 2026, et celle d’Allianz – Euler Hermes qui estime les destructions nettes d’emplois à 670 000 aux États-Unis entre 2008 et 2020.

France Stratégie conclut également à un risque réel de prise de position d’Amazon en France et appelle à un rééquilibrage fiscal et réglementaire immédiat à l’occasion notamment de la présidence française de l’Union européenne en 2022 ». Dire que la mandature Macron aurait déroulé le tapis rouge à Amazon serait nier l’instauration de la taxe Gafa pour laquelle la France a beaucoup œuvré.

Faut-il maintenant s’attendre à une évolution de la doctrine macroniste à l’égard du géant de l’e-commerce en cas de réélection d’Emmanuel Macron ? Pour l’heure, celui-ci est bien discret sur la question de l’exception Amazon ». Lors des Assises du commerce, en décembre dernier, Bruno Le Maire a néanmoins esquissé un changement de cap en considérant en substance que l’entreprise avait été trop loin et que la concurrence déloyale, c’est fini ». Pour le député Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État au Numérique, « la question n’est pas de savoir si nous allons taxer l’e-commerce, mais quand ».